«L'école à la maison» vue par les parents qui l'ont choisie pour leurs enfants (2024)

C'est un épisode célèbre de l'histoire républicaine: par la loi du 28 mars 1882, Jules Ferry a rendu l'enseignement obligatoire pour tous les enfants de 6 à 13 ans. Moins connue, en revanche, est la précision selon laquelle cette éducation peut être donnée «soit dans les établissem*nts d'instruction primaire […], soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie». (Rassurez-vous, les mères ont obtenu des droits entretemps.) Cette loi est donc l'acte de naissance de «l'école à la maison», appelée aujourd'hui «instruction en famille» (IEF).

En France, il existe peu de données officielles qui permettent de savoir exactement combien d'enfants suivent des cours depuis chez eux. Mais en croisant plusieurs sources, on peut dégager au moins trois tendances.

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D'abord, la part d'enfants en IEF est très minoritaire et représente moins de 0,5% de l'ensemble des plus jeunes. Ainsi, pour l'année 2022-2023, l'Institut des hautes études, de l'éducation et de la formation avance qu'entre 50.000 et 60.000 enfants étaient instruits en famille (à comparer avec les 12 millions d'élèves que compte le pays).

Ensuite, leur nombre augmente chaque année: selon le ministère de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, l'IEF a connu «une accélération marquée pour la période 2016-2020, pendant laquelle le nombre d'enfants concerné a doublé. Sur dix ans, ce nombre a plus que triplé puisqu'il est passé de 19.000 enfants à la rentrée 2010 à 62.000 à la rentrée 2020.» Ces chiffres sont néanmoins à relativiser en raison de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Celle-ci a abaissé l'âge de l'instruction obligatoire de 6 à 3 ans, ajoutant ainsi au décompte de l'IEF les enfants en âge d'être à la maternelle. Enfin, les enfants concernés par ce mode d'instruction ne passent généralement qu'une seule partie de leur scolarité en famille.

Officiellement, et depuis la rentrée 2022, les motifs qui permettent l'IEF sont limités par la loi au nombre de quatre: «l'état de santé de l'enfant ou son handicap», «la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives», «l'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissem*nt scolaire public» et enfin «l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif». En réalité, la diversité des raisons qui poussent les familles à faire ce choix ne se limite pas toujours à ces quatre critères.

«Dans certains cas, ce n'est pas vraiment un choix»

Depuis douze ans, Anne Detremmerie fait partie de l'association Les enfants d'abord, dont les objectifs sont de soutenir celles et ceux qui ont fait le choix de l'instruction en famille et de les mettre en relation. Elle est mère de trois enfants, dont seule l'aînée a été scolarisée, durant ses années de maternelle.

«Elle n'avait aucune difficulté d'apprentissage, mais des difficultés émotionnelles, confie Anne Detremmerie. On a donc pris la décision de l'IEF. À partir de ce moment, c'était plus facile que mes deux autres enfants suivent le même type d'éducation, mais on [leurs parents, ndlr] les questionne souvent et ils peuvent changer d'avis s'ils le veulent.» Selon elle, si ce type de décisions était prise plus rapidement dans certaines familles, «de nombreux cas de harcèlement, de dépressions ou de difficultés d'apprentissage pourraient être évités».

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L'IEF peut également être décidée pour permettre davantage de souplesse, notamment en cas de séparation des parents. Anne Detremmerie ajoute par ailleurs que «malheureusem*nt, dans certains cas, ce n'est pas vraiment un choix. Quand une école n'a pas d'accès PMR [pour les personnes à mobilité réduite, ndlr] par exemple, ou encore quand l'éloignement géographique de l'établissem*nt est trop contraignant.»

Sortir du système

Pour certaines familles, l'IEF est aussi et surtout une alternative au système scolaire classique, qui ne parviendrait pas à intégrer tous les enfants. Elle permet alors d'envisager d'autres pédagogies éducatives, plus proches de leurs valeurs.

Caroline par exemple, relais pour l'association Les enfants d'abord, est maman d'une fille de presque 9 ans qui n'est jamais allée à l'école. Elle explique qu'au lieu de suivre le rythme scolaire, l'IEF permet de construire son propre rythme familial. Selon elle, «de nombreux parents veulent sortir les enfants du système parce qu'ils ont eux-mêmes eu une mauvaise expérience à l'école». Comme Anne, Caroline laisse le choix à sa fille. Elle précise néanmoins que son cas n'est pas très représentatif, car beaucoup de parents prennent cette décision quand la scolarité de leurs enfants se passe mal.

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De son côté, Cécile, mère isolée d'une enfant de 6 ans, a très souvent envisagé l'IEF: «Ça continue très régulièrement, à chaque nouvelle loi du gouvernement comme l'interdiction de l'abaya ou le retour de l'uniforme.» Comme d'autres familles, elle est critique du système pédagogique de l'Éducation nationale. Elle affirme que «la maternelle devrait être orientée uniquement autour des émotions et de leur gestion, connaître son corps et apprendre à l'écouter».

Cécile a finalement scolarisé sa fille par peur de l'isoler socialement, mais aussi parce que, selon elle, l'IEF reste accessible à une minorité de parents qui sont déjà «relativement privilégiés». C'est d'ailleurs ce que confirme Aurélie, musicienne, qui affirme que «l'IEF demande du temps». Son fils a fait deux ans de maternelle à mi-temps, puis a passé toute sa primaire en famille. Il est aujourd'hui au collège, où il est entré «parce qu'il en avait envie». «Je me sentais prête à accompagner mon fils dans ses apprentissages», explique-t-elle.

«Cela permet de suivre le rythme de l'enfant, ses élans, sa curiosité naturelle. Il n'était pas isolé socialement pour autant: il faisait plusieurs activités et fréquentait d'autres enfants.»

C'est en se formant à la pédagogie Montessori que cette maman passionnée de pédagogie a découvert l'IEF. Elle raconte que les années durant lesquelles son fils était scolarisé en famille ont été «une merveilleuse aventure»: «Cela permet de suivre le rythme de l'enfant, ses élans, sa curiosité naturelle. Il n'était pas isolé socialement pour autant: il faisait plusieurs activités et fréquentait d'autres enfants, scolarisés ou non.»

Aurélie, Anne et Caroline précisent toutes les trois que les raisons qui poussent les parents à l'IEF sont très diverses. Aurélie évoque par exemple des réseaux de parents catholiques pour qui l'école n'est pas assez «dogmatique». Quant à Cécile, elle rappelle qu'il y a «des parents musulmans qui considèrent que l'Éducation nationale est islamophobe».

En voie de disparition?

Depuis 2022, l'IEF est néanmoins devenue beaucoup plus difficile à mettre en place en raison de la loi confortant le respect des principes de la République, dite «loi séparatisme». Avant celle-ci, les familles devaient simplement faire une déclaration à la mairie. Désormais, elles doivent demander une autorisation à la direction académique des services de l'éducation nationale du département de résidence de l'enfant.

Pour Anne Detremmerie, cette nouvelle loi est catastrophique pour les familles qui font le choix de l'IEF: «L'application est locale, donc l'autorisation dépend du bon vouloir du rectorat. Ainsi, l'association Les enfants d'abord s'est rendue compte que certains dossiers sensiblement similaires ne se voient pas accorder la même réponse.»

Pour la rentrée 2024, toutes les familles devront faire une demande d'autorisation entre le 1er mars et le 31 mai inclus. Beaucoup craignent de se la voir refuser. C'est la raison pour laquelle certaines ont décidé d'entrer en désobéissance civile, ce qui a donné lieu à des procès, comme celui de Marjorie Bautista et Ramïn Farhangi, à Foix (Ariège), un couple jugé pour avoir refusé de scolariser leur petit garçon.

Selon plusieurs associations de défense de l'IEF, la loi «séparatisme» vise à diminuer drastiquement la proportion d'enfants instruits à la maison. Anne, qui déplore cette évolution législative, conclut ironiquement: «Ma fille aînée est maintenant en études supérieures, comme quoi on survit à l'IEF!»

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