Macron et les diplomates : un départ précipité d’Egypte… et toujours pas de remplaçant (2024)

"J’ai quitté définitivement Le Caire le 15 novembre." Lorsqu’on contacte par e-mail l’ambassadeur de France en Egypte, Marc Baréty, cette réponse sommaire est envoyée automatiquement. Le départ du diplomate n’a fait l’objet d’aucune communication publique, ni sur le site de l’ambassade, ni sur les réseaux sociaux, ni au Journal officiel. Aucun diplomate n’ayant pour l’heure été nommé pour lui succéder, malgré la tenue d’un Conseil des ministres le 22 novembre, les affaires courantes sont gérées par le premier conseiller de la délégation française. Une vacance potentiellement gênante, la coordination diplomatique avec les plus hautes autorités de l’Egypte, seul pays frontalier de la bande de Gaza, hormis Israël, étant actuellement constante et incontournable. L’aide humanitaire française passe par Le Caire. Ainsi, le porte-hélicoptères amphibie Dixmude, équipé de 40 lits médicalisés, a quitté Toulon lundi 20 novembre pour rejoindre l’Egypte. Emmanuel Macron s’est rendu dans la capitale égyptienne le 25 octobre, après Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères, le 16 octobre, et avant Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, les 14 et 15 novembre.

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"Marc Baréty est parti à la retraite", réagit le Quai d’Orsay. Le départ de l’ambassadeur était, il est vrai, programmé au Journal officiel pour le lendemain de ses 67 ans, le 13 janvier 2024. Le diplomate, expert des pays arabes pour avoir passé pas moins de vingt-six ans de sa carrière dans huit capitales de la zone, aurait simplement pris deux mois d’avance sur le calendrier. "C’est sa décision", insiste un de ses confrères et amis. Le 12 novembre, l’ambassadeur a d’ailleurs organisé un pot de départ à la résidence diplomatique. "Il nous a dit que son départ était normalement prévu pour janvier, mais qu’il avait des jours de congé à prendre", relate Hervé Majidier, conseiller consulaire français pour l’Egypte.

Reste que ce départ très discret a été peu anticipé, contrairement aux meilleures habitudes, qui veulent que le nouvel ambassadeur soit nommé et opérationnel dès le congé de son prédécesseur. Lorsque François Gouyette, ambassadeur en Algérie, a quitté son poste, en juillet 2023, atteint par la limite d’âge – une information partagée très en amont par le compte de l’ambassade sur le réseau social X et par la presse algérienne –, son successeur, Stéphane Romatet, était déjà nommé depuis deux semaines. Au sein de la communauté française en Egypte et dans les milieux diplomatiques locaux, la retraite sans remplacement immédiat de Marc Baréty ne laisse d’interroger. "Personne ne comprend. Dans les jardins de l’ambassade, avec des élus, des diplomates, même d’autres pays, on se demande : ‘Qui ? Pourquoi ?’ D’habitude, le successeur est connu bien à l’avance, a fortiori dans un pays aussi important que l’Egypte, central dans des dossiers comme ceux des réfugiés, de l’aide humanitaire, de la Libye", avance Hervé Majidier.

Le départ de Mac Baréty, ancien directeur adjoint de la direction de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO) du Quai d’Orsay, où elle est souvent surnommée la "rue arabe", s’inscrit en outre dans un contexte tendu. Selon nos informations, le diplomate fait partie de la quinzaine d’ambassadeurs qui ont signé une note adressée au ministère des Affaires étrangères et à l’Elysée, début novembre. Ce document, révélé le 13 novembre par Le Figaro, critique la position de la France sur le conflit Israël-Hamas, qualifiée de trop favorable à l’Etat hébreu et préjudiciable à l’image de la France dans les Etats arabes. Il n’y a rien d’inhabituel à ce qu’un diplomate envoie une note dissonante à sa hiérarchie. Que les rédacteurs se coordonnent entre eux à l’avance, voilà qui est à l’inverse totalement "inédit", selon Charles-Henri d’Aragon, ancien ambassadeur en Syrie et en Arabie saoudite.

Tous signataires sauf trois

Tous les ambassadeurs de la région Afrique du Nord - Moyen-Orient auraient signé le texte, sauf trois : Nicolas Roche, ambassadeur en Iran, ancien directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian au Quai d’Orsay ; Nicolas Niemtchinow, en poste aux Emirats arabes unis, ex-directeur adjoint du cabinet d’Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, pendant la guerre en Libye, et directeur de la stratégie de la DGSE entre 2017 et 2022 ; enfin, le conseiller historique de Bernard Kouchner, Eric Chevallier, ambassadeur en Irak. Ce dernier est d’ailleurs fortement pressenti pour prendre la suite de Marc Baréty en Egypte.

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"La diplomatie n’est pas affaire d’opinions individuelles […]. Le devoir de réserve et l’obligation de loyauté s’appliquent aux diplomates comme à tous les fonctionnaires", a fait dire Emmanuel Macron aux intéressés, selon Le Canard enchaîné. Une mise en garde claire : toute expression publique sera sanctionnée. En même temps, l’exécutif s’est gardé, à ce stade, de réprimer plus sévèrement les auteurs de la note. "Certains collègues en activité et d’autres déjà à la retraite s’y opposeraient publiquement", pointe un diplomate, toujours dans Le Canard enchaîné. A l’inverse, un conseiller de l’exécutif affirme que le récent voyage présidentiel au Moyen-Orient a servi à expliquer la position française aux chefs d’Etat étrangers, mais aussi à "nos ambassades".

Marly contre Rostand

Le débat est au fond la résurgence d’une vieille querelle. En février puis en juin 2011, un groupe de diplomates nommé "Marly", du nom du café parisien où ses membres se réunissaient, s’était insurgé dans Le Monde contre la politique diplomatique de Nicolas Sarkozy, considérée comme en rupture avec les années de Gaulle-Mitterrand-Chirac. "La politique suivie à l’égard de la Tunisie ou de l’Egypte a été définie à la présidence de la République sans tenir compte des analyses de nos ambassades. […] Notre suivisme à l’égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires", tançaient les hauts fonctionnaires. En 2014, plusieurs des membres de ce groupe informel et anonyme ont ensuite fondé le Club des vingt, un collectif de diplomates et d’intellectuels "gaullo-mitterrandiens" attachés à l’image de la France dans les pays du Sud, avance Christian Lequesne, professeur à Sciences po. Il était présidé à l’origine par Francis Gutmann, ex-ambassadeur à Madrid et neveu par alliance du général de Gaulle.

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Ce cercle "se donne comme mission de défendre la carte mentale de l’indépendance et du rang contre la carte mentale occidentaliste", précise Christian Lequesne dans son ouvrage Ethnographie du Quai d’Orsay (2017). Trois anciens ministres des Affaires étrangères en font partie à l’origine : Roland Dumas et Hubert Védrine (ce dernier quitte le club rapidement), proches historiques de François Mitterrand, et Hervé de Charette, ex-ministre des Affaires étrangères sous Jacques Chirac. Le Club des vingt compte également dans ses rangs Maurice Gourdault-Montagne, ancien sherpa de Chirac, ainsi que Régis Debray, encore un collaborateur historique de Mitterrand. Tous s’inscrivent en faux par rapport à la politique diplomatique de Sarkozy, de Hollande et aussi… d’Emmanuel Macron.

"Gardiens du temple lézardé"

Le président actuel, après avoir souvent consulté Hubert Védrine et Dominique de Villepin dans ses premières années à l’Elysée, et paru donner des gages aux "gaullo-mitterrandiens", en qualifiant notamment les "occidentalistes" du Quai d’Orsay d’"Etat profond", a déçu ces diplomates. "Les tensions que l’on peut constater entre les pays occidentaux et le reste du monde, que la crise ukrainienne a ravivées, ne doivent pas déboucher sur de nouveaux affrontements : la France se doit de continuer de s’opposer à la logique des blocs et développer son dialogue à l’égard de pays qui se veulent de plus en plus non alignés", écrit le Club des vingt, en juin 2022, sur son site Internet. Un conseil pas assez suivi à son goût par le chef de l’Etat.

A rebours des "Marly" et du Club des vingt, une mouvance parfaitement opposée s’est peu à peu structurée. Dès février 2011, d’autres diplomates anonymes, sous le nom de "groupe Rostand", avaient contredit les "Marly" dans Le Figaro, les qualifiant de "gardiens du temple lézardé". "Il faudrait revenir à un passé mythifié où la France ne pouvait exister qu’en s’opposant à l’Amérique, en se tenant à mi-chemin de tout le monde, c’est-à-dire nulle part, quand diaboliser l’Otan tenait lieu de réflexion. Meilleur moyen, sans doute, pour garantir notre audience auprès de nos alliés", grinçaient les "Rostand".

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Dans La Face cachée du Quai d’Orsay, publié en 2016, le journaliste Vincent Jauvert raconte les affinités entretenues sur le même thème par un groupe de diplomates surnommé "la secte". Parmi eux, plusieurs futurs directeurs de cabinet de ministres sous Emmanuel Macron, comme Nicolas Roche, Luis Vassy, son successeur auprès de Catherine Colonna, ou encore Martin Briens, qui occupa le même poste au ministère des Armées. Une amicale "jugée exagérément atlantiste, pro-israélienne et anti-iranienne" par ses contempteurs, écrit Vincent Jauvert. On pourrait aussi décrire ces diplomates comme tenants de la thèse du retournement profondément anti-occidental de certains pays arabes, à commencer par l’Iran.

Tradition pro-arabe

Dans cette "carte mentale", résumée en creux par les Rostand, il convient d’assurer la sécurité du monde occidental avant de donner des gages à des pays profondément hostiles, ce qui reviendrait à nier l’évolution des équilibres depuis le 11 Septembre. Cette vision du monde a semblé rejaillir dans la proposition avortée d’Emmanuel Macron d’organiser une "coalition régionale et internationale" contre le Hamas. Les diplomates non signataires de la "note critique" sont par ailleurs tous les trois associés soit au bilan d’Emmanuel Macron soit à celui de Nicolas Sarkozy, symbolisé par la guerre en Libye, en 2011.

A l’inverse, parmi les signataires, aucun n’a appartenu à un cabinet ministériel dit gaullo-mitterrandien. "La filière Afrique du Nord - Moyen-Orient, que l’on croyait anéantie par les ‘néocons’, bouge encore !" savoure un ancien ministre, sollicité sur la "note critique". Tout se passe comme si "l’Etat profond" de la filière arabe du Quai d’Orsay s’était soudainement rebellé contre sa tutelle. La continuation d’une vieille tradition, note l’historien Maurice Vaïsse, qui fait remarquer que "les diplomates de la direction ANMO ont toujours tenu des positions plus favorables aux pays arabes de façon générale". Une ligne pas forcément représentative des équilibres globaux au Quai d’Orsay – la direction des affaires stratégiques, par exemple, tient souvent des analyses divergentes. Et des inquiétudes pas nécessairement justifiées, tentent de démontrer l’Elysée et le Quai d’Orsay. Depuis une semaine, l’exécutif tente de sortir de l’ancestrale querelle des "occidentalistes" et des "gaullo-mitterrandiens" pour défendre une synthèse toute macronienne. Les appels au cessez-le-feu et les annonces sur l’aide humanitaire à Gaza en portent la marque. Les prémisses d’une future filière diplomatique ?

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